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Traité contraignant sur les sociétés transnationales et les droits humains : un bloc des pays du Sud Global rejette la manœuvre des puissances dominantes contre le processus !

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Déclaration de la Campagne mondiale pour réclamer la souveraineté des peuples, démanteler le pouvoir des transnationales et mettre fin à l’impunité

Novembre 2023

La 9e session du Groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée (OEIGWG, pour son sigle en anglais) chargé d’élaborer un traité contraignant des Nations Unies sur les sociétés transnationales (STN) et autres entreprises en matière de droits humains, s’est tenue à Genève du 23 au 27 octobre 2023. Ce cycle de négociations a représenté une étape importante dans la lutte contre l’impunité des STN pour les violations des droits humains et de l’environnement, et s’est conclu par un message clair : les mouvements sociaux, les syndicats, les peuples autochtones, les communautés affectées et les organisations de la société civile, ainsi que de nombreux États du Sud, sont engagés à protéger ce processus des intérêts de ceux qui veulent faire passer les profits des STN avant les droits des peuples et de la planète.

Comme chaque année, à l’occasion de la session du Groupe de travail, la Campagne mondiale pour réclamer la souveraineté des peuples, démanteler le pouvoir des transnationales et mettre fin à l’impunité (Campagne mondiale) a organisé une semaine de mobilisations avec des activités à l’intérieur et à l’extérieur de l’ONU (voir l’agenda ci-dessous). Avec une délégation de 73 personnes venant d’Asie, d’Afrique, d’Amérique latine, des États-Unis et d’Europe, les membres de la Campagne mondiale ont assisté à ladite session, à d’autres espaces associés, ont organisé des événements à l’intérieur de l’ONU, une exposition de photos et des manifestations. Ce travail démontre l’engagement de la Campagne mondiale à élaborer un traité contraignant ambitieux qui reflète les besoins et les intérêts des peuples affectés par les violations des STN.

Un nouveau bloc de pays du Sud se confronte avec la Présidence

L’ouverture de la semaine de négociations a commencé de manière combative : pendant plus de quatre heures, un groupe d’États du Sud a rejeté la tentative de la Présidence d’imposer un texte illégitime comme base de négociation. Comme l’a souligné le Groupe africain, qui représente les 54 États africains, le projet de traité mis à jour publié en juillet 2023 par la Présidence du OEIGWG, l’Ambassadeur de l’Équateur, a été élaboré de manière non transparente et non inclusive, ajoutant et/ou supprimant des éléments et des dispositions de manière arbitraire. Pour ces raisons, le Groupe africain a demandé que le projet mis à jour soit retiré de la table et que le troisième projet révisé précédent soit récupéré comme base de négociation. En outre, et comme l’ont constamment souligné des pays d’Amérique latine tels que Cuba, le Honduras, le Venezuela, la Colombie et la Bolivie, des États asiatiques tels que le Pakistan et l’Indonésie, ainsi que le Groupe africain, le nouveau projet proposé par la Présidence visait à imposer un champ d’application du traité contraignant fondamentalement différent de celui prévu par la Résolution 26/9 (le document établissant le mandat du OEIGWG et régissant ce processus depuis 2014). En effet, cette résolution définit que le champ d’application du Traité contraignant doit se focaliser sur les STN et autres entreprises de caractère transnational.

La plupart des pays du Sud se sont exprimés haut et fort : ce processus a été lancé dans le but de combler les lacunes du droit international qui permettent aux STN de violer les droits humains en toute impunité. L’élargissement du champ d’application du traité à “toutes les entreprises commerciales”, comme le propose la Présidence et comme le préconisent ouvertement les États du Nord et les représentants des STN, va à l’encontre de l’objectif initial du processus. Sur la base de cet élargissement, le traité devrait établir des dispositions communes pour réglementer des entreprises ayant des structures et des activités très différentes, ce qui serait non seulement injuste, mais rendrait également sa mise en œuvre complexe et inefficace.

Les négociations sur le texte progressent et renforcent la résolution 26/9

Finalement, la Présidence a rejeté la demande du Groupe africain de revenir au projet de traité précédent ; cependant, la pression des États du Sud a prévalu pour au moins utiliser le projet mis à jour dans sa version en suivi de modifications (qui inclut les éléments qui ont été arbitrairement retirés de la version de la Présidence). De nombreux États du Sud, ainsi que les organisations et les mouvements de la Campagne mondiale, ont continué à dénoncer ces manœuvres et à remettre en question les intentions qui les sous-tendent.

Malgré cette première journée mouvementée, les négociations sur le projet révisé ont débuté avec une participation importante et constructive des États engagés en faveur d’un traité contraignant ambitieux, tant par le nombre que par la qualité des interventions. Grâce à cela, des dispositions importantes ont été réintroduites dans le texte en négociation, telles que : des obligations directes pour les STN ; la primauté des droits humains sur les accords de libre-échange et d’investissement ; l’importance de reconnaître et d’inclure le concept de communautés affectées ; l’importance d’établir que les STN commettent non seulement des abus, mais également des violations des droits humains (il s’agit d’une différence avec des répercussions juridiques importantes) ; et la nécessité de renforcer les dispositions visant à établir la responsabilité tout au long des chaînes de valeur et de production.

Une nouvelle tentative de coup d’État

Avant la fin de la semaine de négociations, la Présidence du Groupe de travail a mis sur la table une proposition qui sentait la manœuvre malveillante : une nouvelle résolution au Conseil des droits de l’homme dans le but de renégocier le mandat du processus, en arguant un manque de consensus et de ressources financières. Une véritable manœuvre visant à faire dérailler le processus (il convient de noter qu’en juillet 2023, lors d’une consultation du groupe de pays occidentaux à l’ONU, une proposition visant à “clarifier” le mandat du OEIGWG par le biais d’une nouvelle résolution avait été soulevé). La nouvelle résolution proposée a été accueillie d’abord avec surprise puis avec un rejet catégorique par la grande majorité des États présents dans la salle, à l’exception des représentants des États-Unis et de l’Union européenne.

L’engagement actif du bloc des pays du Sud, de concert avec les mouvements sociaux, les communautés affectées et les organisations de la société civile en faveur du processus établi par la résolution 26/9 a permis de déjouer cette tentative de coup d’État. Le prétendu “manque de consensus” utilisé pour justifier la nécessité d’une nouvelle résolution ne correspondait tout simplement pas à la réalité : plus de 60 États se sont exprimés à l’unisson sur la clarté du champ d’application de la Résolution 26/9 axée sur les STN et autres entreprises de caractère transnational.

Après d’intenses débats entre les États avant la clôture de la session, les conclusions officielles de la semaine donnent raison aux défenseurs de ce processus historique. Non seulement l’éphémère proposition de nouvelle résolution a été abandonnée, mais l’importance de poursuivre les négociations conformément aux objectifs et aux dispositions énoncés dans la Résolution 26/9 a été réaffirmée. En outre, les États ont convenu de l’importance faire avancer les négociations, notamment par le biais de consultations intersessions transparentes au cours desquelles tous les États discuteront et s’accorderont démocratiquement sur la manière de poursuivre les travaux d’élaboration du traité. Nous demandons instamment au Groupe de travail de s’éloigner des débats et discussions alimentés par des “experts”, dont nous avons assez entendu parler. Nous pensons au contraire que les voix et les expériences des personnes et des communautés affectées par les violations commises par les STN devraient être entendues et privilégiées, car ce sont elles les véritables expertes.

Et maintenant ?

De nombreux défis nous attendent. Nous savons qu’un traité contraignant fort et efficace pourrait modifier le déséquilibre de pouvoir qui permet à certains de profiter de la dépossession et de la mort des autres. Le rejet sans équivoque d’une nouvelle résolution est un point positif pour les États du Sud et pour la Campagne mondiale, vis-à-vis notamment des puissances qui cherchent à saper le traité et qui ne resteront pas inactives face à ce résultat.

Ces tentatives constantes de boycott et d’érosion du traité sont la preuve que les STN et leurs agents utiliseront toutes les moyens à disposition pour tenter d’empêcher ce processus d’aller de l’avant. Les représentants des STN, les États-Unis et l’Union européenne se sont pleinement engagés à détruire, ou du moins à diluer, le processus. D’autres pays du Nord (Suisse, Israël, Japon, Australie, Canada, entre autres), ainsi que certains pays du Sud soumis aux intérêts des STN et de l’impérialisme occidental, suivent le train. Le chemin vers un traité contraignant digne de ce nom reste difficile, et ne sera pas exempt de pièges et d’embûches.

Pour ce qui est de l’avenir, la Campagne mondiale reste pleinement engagée en faveur du traité contraignant, en faisant le lien entre les besoins et les aspirations des mouvements, des syndicats et des communautés concernées et la rédaction juridique d’un traité capable de changer le monde tel que nous le connaissons. Nous nous faisons l’écho des appels lancés par les États du Sud en faveur de la transparence et d’une méthodologie claire capable de créer un consensus pour les négociations, et non d’imposer des caprices.

Enfin, nous dénonçons la sécurisation croissante de l’espace onusien. D’un forum censé protéger et promouvoir les droits humains, il est devenu, dans la pratique, un espace qui criminalise les expressions de solidarité et de dissidence et exacerbe les vulnérabilités. C’est désormais un espace qui, ironiquement, ignore les multiples stratégies que ceux d’entre nous qui défendent les droits humains ont le droit de déployer. Les tentatives de réduire au silence la solidarité avec la Palestine a été fréquent tout au long de la semaine, malgré le génocide en cours.

La manifestation du lundi 23 octobre devant la “Broken Chair”, co-organisée par la Campagne mondiale, a montré que le pouvoir des peuples peut trouver un écho dans la salle de négociation. Elle a montré que la résolution 26/9 n’est pas à prendre à la légère. Comme l’a déclaré Paula Goes, du Mouvement brésilien des personnes affectées par les barrages, au nom de la Campagne mondiale :

“La résolution 26/9 est une victoire historique, le résultat d’années de lutte de millions de personnes dont les droits humains sont systématiquement violés par les sociétés transnationales. Ce processus est donc un mandat pour ceux qui ont été tués à Marikana pour avoir fait grève afin de réclamer de meilleures conditions de travail à Lonmin ; pour les enfants indigènes qui meurent de cancer en Équateur à cause des déversements de pétrole de Chevron ; pour les travailleurs tués au Rana Plaza ; et pour les millions de personnes actuellement emprisonnées à Gaza et soumises à un génocide”.

La mémoire de nos peuples exige que l’on rende des comptes et que l’on rende justice face aux violations des droits humains commises par les STN, et grâce aux efforts de nombreux États, de la Campagne mondiale et de ses alliés, cette possibilité reste entre nos mains. L’année prochaine, alors que nous célébrerons une décennie de lutte, nous marcherons plus forts et plus engagés que jamais.

Activités de la semaine de mobilisation 2023 :

Lundi 23 octobre

Conférence parallèle : “Comment le traité contraignant peut-il soutenir le travail parlementaire visant à défendre les peuples et la planète contre les violations des STN ?”

Vidéo : https://justice5continents.net/fc/viewtopic.php?t=1155

Manifestation : Dance for Change, Move the Chair

Mardi 24 octobre

Conférence parallèle : “Tribunal populaire : procès des sociétés transnationales”

Vidéo : https://justice5continents.net/fc/viewtopic.php?t=1156

Exposition de photos-documentaires de l’Assemblée des femmes rurales

Jeudi 26 octobre

Conférence parallèle : “Cas de violations des droits humains et d’écodestruction”

Vidéo : https://justice5continents.net/fc/viewtopic.php?t=1157

Documents utiles de la Campagne mondiale :

Communiqué des premières impressions sur le projet de traité actualisé (septembre 2023)

Frontières d’un traité efficace (2023)

10 ans passés, 10 ans à venir. La Campagne mondiale vers 2032 (2022)

Éléments clés préconisés par la Campagne mondiale, basés sur les expériences de résistance des communautés affectées par les STN (2022)

Éléments pour un tribunal international sur les STN et les droits humains (2022)

Proposition de traité sur les STN et les droits de l’homme (2017)

Pour en savoir plus : https://www.stopcorporateimpunity.org/traite-contraignant-de-lonu/?lang=fr