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TRAITÉ CONTRAIGNANT DE L’ONU SUR LES STN ET LES DROITS HUMAINS: Les « démocraties libérales » et ses alliés contre des normes contraignantes, les mouvements sociaux et les pays du Sud ripostent

Campagne Mondiale

La 8e session du Groupe de travail intergouvernemental de l’ONU sur les sociétés transnationales (Groupe de travail), chargé de l’élaboration d’un traité contraignant pour le respect des droits humains par ces entités, s’est tenue à Genève du 24 au 28 octobre 2022 dans une grande confusion et une atmosphère tendue. Une délégation de la Campagne mondiale pour revendiquer la souveraineté des peuples, démanteler le pouvoir des transnationales et mettre fin à l’impunité (Campagne mondiale) était présente et active pour défendre les intérêts populaires et les droits des personnes et communautés affectées.

 

En 2021 déjà, la Campagne mondiale évoquait déjà ses préoccupations concernant des manœuvres au sein dudit Groupe de travail pour le dévier de sa trajectoire[1], qui a institué ce même Groupe de travail. Ces dernières se sont non seulement poursuivies mais accentuées durant sa 8e session.

 

En violation du mandat du Groupe de travail et en pleine contradiction avec les travaux effectués jusqu’ici en son sein, la présidence de cette instance (assurée par l’Ambassadeur de l’Équateur à Genève) a présenté sur la table des négociations, de manière unilatérale et sous-prétexte de « faciliter les négociations », des nouvelles propositions de texte. Cette action visait clairement à modifier radicalement, affaiblir et diluer le projet de traité sur la table (3e version révisée avec les propositions représentées par les États lors de la 7e session), tout en imposant ces nouvelles propositions comme document de base alternatif pour les négociations. Avant même le début de la 8e session, la Campagne mondiale a dénoncé et rejeté la présentation de ces propositions[2].

 

Cette manœuvre a non seulement créé une confusion pour les pourparlers qui ont suivi, mais a également servi aux puissants opposants de ce processus, qui ont appuyé cette diversion, de contester ainsi l’élaboration d’un traité conforme au mandat du Groupe de travail. Il semble que c’est l’effet qui était recherché par la présidence, vu que le camp occidental en particulier s’est systématiquement référé à ces propositions afin de délégitimer la 3e version révisée du projet de traité. Ce dernier, malgré ses lacunes, dues à des tentatives par les détracteurs du processus d’en diluer le contenu, est issu de plusieurs années de débats au sein du Groupe de travail et reste le seul document légitime pour la suite des négociations. À souligner que cette 3e version révisée contient aussi d’excellentes dispositions grâce au travail de certains pays qui ont repris les revendications des mouvements sociaux, suite à un travail de plaidoyer acharné mené par la Campagne mondiale.

 

Voici un bref résumé des positions défendues par les États participants à la 8e session du Groupe de travail. Pour les États-Unis et les pays qui leur sont inféodés (l’Union européenne, le Royaume-Uni, le Japon, l’Australie, la Suisse, la Norvège…), le futur traité ne doit pas être « prescriptif » (dispositions trop vagues et pas d’obligations pour les STN en matière de droits humains), mais doit être « conforme » aux codes de conduite volontaires (les Principes directeurs de l’ONU et ceux de l’OCDE notamment) et doit s’appliquer à tout type d’entreprises (y compris les PME). D’ailleurs, selon ces États, le terme de « business enterprises » ou celui de « business activities » devrait remplacer le terme STN. Autant dire que, pour ces États qui se définissent comme « démocraties libérales » et « défenseurs » des droits humains, il n’est pas question de prendre des mesures efficaces qui gêneraient les STN dans leur démarches et leur recherche d’un profit maximum. Relevons que, selon de nombreux États occidentaux, ces entités, par définition, ne pourraient violer les droits humains. Elles pourraient seulement en « abuser » par « omission ». Tout au plus, leurs activités pourraient avoir un « impact défavorable sur les droits de l’homme »[3]. A quelques nuances près, certains États latino-américains (Brésil et Mexique notamment) ont également défendu cette position.

 

Cette offensive indécente de la part de la présidence et de ses alliés désormais ouvertement affichées (les États occidentaux et les représentants des STN en particulier), n’est pas restée sans réponse. Dans sa déclaration commune, le Groupe africain, représentant d’une seule voix les 54 pays africains, a dénoncé dès le premier jour les manœuvres des précités, tout en exigeant le respect du mandat du Groupe de travail lors des négociations. Parmi les États africains, l’Afrique du Sud, la Namibie et l’Égypte ont joué un rôle de premier plan. De nombreux et importants États asiatiques (Chine, Inde, Indonésie, Iran, Pakistan, Palestine, Philippines,…) et latino-américains (Bolivie, Colombie, Cuba, Venezuela…) ont fait de même.

 

La Campagne mondiale n’était pas en reste. Tout au long de la semaine, elle a vigoureusement dénoncé les manœuvres visant à diluer le contenu du futur traité et dévier le Groupe de travail de son mandat, tout en faisant des amendements constructifs pour améliorer le contenu de la 3e version révisée du projet de traité en discussion. Ces amendements ont porté entre autres sur la responsabilité conjointe et solidaire des maisons-mères des STN avec leurs chaînes de valeur sur les plans civil, pénal et administratif ; sur l’accès à la justice des communautés et personnes affectées ; sur la question de la compétence des juridictions (État de siège, État d’accueil) ; sur la nécessité d’établir des obligations directes pour les STN, distinctes de celles des États ; sur un mécanisme international de mise en œuvre efficace et efficient.

 

Un autre défi important concerne la méthodologie de négociation. La méthode adoptée par le groupe de travail l’année dernière consiste à inclure directement les amendements des États dans le projet de traité. Bien que cette méthode puisse paraître plus démocratique et transparente, il s’avère que les amendements proposés par les uns (les États en faveur d’un traité contraignant, selon le mandat du Groupe de travail) et les autres (les États contre un traité contraignant) sont totalement contradictoires et inconciliables. Dès lors, les amendements qui vont à l’encontre du mandat doivent être exclus, sinon ce processus risque de s’enliser.

 

Dès lors, assisterons-nous à un énième échec au sein de l’ONU en ce qui concerne l’encadrement juridique des activités des STN ? Bien que, pour le moment, les rapports de force semblent être défavorables pour ce processus important, il n’est pas question de baisser les bras. Abandonner cette démarche maintenant reviendrait à délaisser les communautés affectées et les victimes des STN.  L’objet de ce processus cible les éléments essentiels de l’architecture de l’impunité des STN, il est donc nécessaire de poursuivre l’engagement que nous avons avec les communautés affectées et de continuer la lutte pour transformer radicalement le statu quo, à savoir : la primauté des intérêts privés sur les droits humains ; davantage de privatisation des services publics ; la poursuite à grande échelle de la destruction de l’environnement ; la réduction au quasi statut d’esclavage de millions de travailleur.euses à travers le monde… Abandonner cette démarche reviendrait enfin à laisser seuls les États africains, asiatiques et latino-américains qui s’engagent pour un traité contraignant sur les STN.

 

Dès lors, les organisations de la société civile, en particulier les mouvements sociaux et les communautés affectées, ainsi que les citoyens, doivent se mobiliser pour exiger de leurs gouvernements et collectivités publiques qu’ils soumettent à la loi, à l’échelle nationale comme internationale, les STN qui échappent à tout contrôle démocratique et juridique. Il s’agit d’une étape cruciale pour encadrer le pouvoir démesuré des STN et leur faire respecter le droit des peuples à décider de leur avenir.

 

Au niveau des activités menées par la Campagne mondiale dans le cadre de la semaine de négociation, il convient ici de mettre l’accent sur :

 

i) L’organisation de trois conférences parallèles.

 

a) « The UN Binding Treaty builds on national and regional legislations regulating TNCs », co-organisé avec le Réseau international inter-parlementaire (GIN), un réseau de parlementaires du monde entier engagés dans l’élaboration d’un traité contraignant fort et efficace. Les représentants du GIN présents à Genève – Lilian Galán (Uruguay), Sydney Mushanga (Zambie), Miguel Urbán (Parlement européen) et Helmut Scholz (Parlement européen) – ont également remis en question la conjoncture et la méthodologie de la 8ème session. Ils et elles ont participé aux négociations en plénière et ont tenu plusieurs réunions avec de nombreuses délégations d’États.

Voir la vidéo de l’événement: https://justice5continents.net/fc/viewtopic.php?t=1151

 

b) « A treaty to end impunity: Direct obligations for TNCs and an international Tribunal ». Cet événement parallèle a permis de défendre et d’expliquer ces deux demandes fondamentales des mouvements sociaux et des communautés affectées, mises en avant par la Campagne mondiale. Grâce à la présentation de plusieurs experts en la matière – Joseph Purugganan de Focus on the Global South, Rasha Dayyeh de PENGON – Palestine, Ivan Gonzalez de la Confédération syndicale des Amériques, Andressa Soares de HOMA et Adoracion Guaman de l’Université de Valence – il a été clairement établi que sans la mise en place d’obligations directes et la création d’un Tribunal international pour juger les crimes des STN, il sera difficile de s’attaquer à l’architecture d’impunité qui caractérise notre système économique mondial.

Voir la vidéo de l’événement: https://justice5continents.net/fc/viewtopic.php?t=1152

 

c) « The Right to Say No and to Stop Corporate Power: Perspectives from the Global South ». Ce puissant événement a pu compter sur la participation d’importants leaders des luttes contre le pouvoir des entreprises d’Afrique (Matthews Hlabane, du Conseil révolutionnaire vert d’Afrique australe et organisateur national de la campagne Right to Say No, et Nonhle Forslund, du Comité de crise Amadiba), d’Asie (Mai Taqueban, des Amis de la Terre International) et d’Amérique latine (Moisés Borgues, du Mouvement des peuples affectés par les barrages). A travers les récits de leurs luttes, ils ont montré la capacité d’articulation des mouvements composant la Campagne mondiale, des mouvements qui construisent la résistance au quotidien sur leurs territoires tout en travaillant dans les espaces multilatéraux dans le cadre des stratégies de construction du droit international par le bas.

Voir la vidéo de l’événement: https://justice5continents.net/fc/viewtopic.php?t=1153

 

ii) Un important et vaste travail de lobbying avant, pendant et après la semaine de négociation. Ce travail se caractérise notamment par une stratégie de plaidoyer articulée à différents niveaux, visant à s’engager auprès de différentes délégations étatiques, tant au niveau national/régional que de l’ONU, engagées dans l’élaboration d’un traité contraignant ambitieux du point de vue des communautés affectées.

 

iii) La publication d’un Document d’éléments pour un Tribunal international sur les STN et les droits humains, comme mécanisme de mise en œuvre du futur Traité, auquel les victimes des violations pourront se référer et porter jugement à l’encontre des STN qui violent les dispositions du futur traité. Ce document est le fruit de plusieurs années de discussions et travail collectif depuis les bases, avec l’objectif de soumettre au Groupe de travail une proposition de comment ce Tribunal fonctionnerait, tout en en exposant les compétences et la juridiction. Lire le document du Tribunal :

 

iv) La publication d’un document d’arguments sur la nécessité d’établir des obligations propres et directes pour les STN dans le traité contraignant, et pas seulement des obligations pour les États, afin de répondre aux préoccupations et aux réticences sur ce sujet. Lire le document sur les obligations des STN :

 

v) Publication d’un document de vulgarisation des dispositions juridiques soutenues par la Campagne mondiale. Construisant le droit international par le bas, la Campagne mondiale a fait plusieurs propositions techniques au texte du traité. Cette brochure présente ces dispositions, en étayant juridiquement les revendications tout en présentant les violations des droits humains par les STN dont elles sont issues.

 

vi) Publication d’une brochure commémorative à l’occasion des 10 ans de la Campagne mondiale. Cette brochure présente le contexte qui a donné naissance à la Campagne mondiale en 2012, ainsi que 10 ans de défis et de réalisations. Tourné vers l’avenir, le texte appelle également à une mobilisation renforcée des peuples et des pays pour relever les défis des 10 prochaines années.

 

Pour plus d’informations, visitez le site de la Campagne mondiale : https://www.stopcorporateimpunity.org/

 

À noter que cet article est repris largement d’un article du bulletin du CETIM.

 

[1] Le processus se base sur la Résolution 26/9 du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, qui établit ce même groupe de travail et en définit les objectifs: http://daccess-ods.un.org/access.nsf/Get?Open&DS=A/HRC/RES/26/9&Lang=F

[2] Pour en savoir plus, lisez notre communiqué: https://www.stopcorporateimpunity.org/affected-communities-and-social-movements-urge-to-get-negotiations-back-on-track-in-the-face-of-a-new-diversionary-threat-to-the-process/

[3] Voir à ce propos les propositions de la présidence sur l’art. 1 (définitions) entre autres, «Suggested Chair proposals for select articles of the LBI (6 October 2022)», Chair-Rapporteur: Emilio Rafael Izquierdo Miño, A/HRC/WG.16/8/CRP.1, 24 October 2022, https://www.ohchr.org/sites/default/files/documents/hrbodies/hrcouncil/wgtranscorp/session8/2022-10-27/a-hrc-wg16-8-crp1.pdf